Biorock stimule la repousse du corail
Partout la mer se réchauffe et le corail blanchit, sauf en quelques points du globe où des pépinières de corail expérimentent une nouvelle technique de repousse, à base d'électricité. Croissance rapide, résistance accrue, ces récifs coralliens artificiels font le bonheur des installations touristiques locales.
Prenez de l’eau de mer des tropiques et une armature métallique - grillagée, torsadée ou pyramidale- plongée à quelques mètres de profondeur.
Enroulez-y un gros fil de cuivre. Branchez le tout à des panneaux solaires ou un générateur électrique de faible puissance (12 volts), situés en bord de plage ou sur un flotteur.
Laissez reposer plusieurs heures.
Sous l’eau, un premier résultat apparaît : une fine couche blanchâtre, du calcaire, est venue se déposer par réaction électrochimique sur les tiges de métal.
La construction du « biorock », un récif corallien artificiel, a bien commencé et elle va continuer à « pousser », à accumuler du calcaire, tant qu’un courant électrique
continu le traverse.
Electrochimie coralienne
L’Allemand Wolf Hilbertz a mis au point le procédé « sea-cretion » d’accrétion minérale, en 1974, à l’université du Texas, par électrolyse de l’eau de mer.
Alors professeur d’architecture, son objectif est d’inventer un nouveau système de construction qui reproduit le processus de calcification naturellement présent dans tous les océans.
Il voulait obtenir une matière première calcaire abondante, bon marché, et donc aisément exploitable dans les pays en développement.
L’idée, écologique et durable, en reste là… jusqu’en 1987 quand le Jamaïcain Thomas Goreau découvre le procédé. Docteur en biochimie, astrophysicien à ses heures, cet expert est également très engagé dans la préservation des récifs coralliens, de plus en plus menacés.
La technique présente à ses yeux une solution inédite puisque cette électrochimie sous-marine fabrique un substrat minéral identique à celui nécessaire à la
croissance du corail.
Dans les conditions d’un « biorock », le corail pousse à toute allure.
Car l’électrolyse fabrique le calcaire en continu, 3 ou 4 fois plus vite que dans des conditions naturelles. En temps normal, le corail doit générer lui-même cette roche qui lui sert de squelette.
Débarrassé de cette contrainte, le métabolisme du corail peut alors consacrer toute sa vitalité à prospérer, croître et se répandre à la surface du récif artificiel.
Considérés comme des « récifs artificiels de troisième génération », les biorocks de Hilbertz et Goreau ont essaimé, depuis 1988, dans une quinzaine de sites à travers le monde.
Des projets pilotes réalisés en Jamaïque, dans le Golfe du Mexique, les Seychelles, les Maldives, les îles Palau, Panama… L’installation la plus importante est immergée en Indonésie, au Nord-Ouest de l’île de Bali, dans la baie de Pemuteran.
Investissement touristique
Baptisé Karang Lestari - qui signifie « préservation du corail » en indonésien - le projet se compose de 22 « pépinières » coralliennes réparties entre 3 et 7 mètres de fond sur 2 hectares de superficie, pour une longueur totale de 300 mètres.
Construits avec les villageois sur place, en 2000 et 2002, l’initiative a été entièrement financée par des centres de plongée et hôteliers locaux.
Il faut compter environ 1 000 dollars par biorock - gabarit métallique et installation électrique incluse.
Un investissement rapidement transformé en argument publicitaire par les donateurs, ravis de voir revenir les poissons colorés et leur clientèle
de plongeurs.
Un modèle d’écotourisme reproduit sur d’autres sites.
Plus grand, plus coloré, plus vivace, le corail des biorocks se révèle aussi plus résistant aux agressions de l’environnement.
En 1998, l’année du « blanchiment » massif du corail dans l’Océan Indien, asphyxié par le réchauffement des eaux tropicales, seul 5 à 10 % du corail naturel a survécu.
Parmi les 5 biorocks implantés en 1996 à proximité de l’ile d’Ihuru, aux Maldives, le taux de survie observé a atteint les 60 à 80 %.
Aux Maldives et à Palau, les concepteurs du biorock tentent une expérience de protection côtière. à partir d’une digue de calcaire érigée sur la base d’une structure en forme de croissant de lune pour réduire l’érosion des plages.
Selon Goreau et Hilbertz, un barrage par accrétion minérale coûte 10 fois moins cher qu’un chantier en béton.
Maxence Layet